Si la junte de Bamako a poussé Paris vers la sortie, d’autres pays ont encore besoin de soutien pour y combattre les groupes terroristes. Parmi eux, le Burkina Faso et le Niger, tandis que le Bénin, la Côte d’Ivoire ou le Togo risquent également de faire face à la menace, menée principalement par deux groupes notoires : la branche sahélienne d’Al-Qaïda et la branche sahélienne de l’État islamique (EI). “Ce sont les deux groupes dominants, même s’il y a des petits groupes qui leur appartiennent”, a déclaré à 20 Minutes Wassim Nasr, expert des mouvements jihadistes et auteur de l’Etat islamique, Fait accompli (Plon).
Al-Qaïda contre l’État islamique
Les deux groupes djihadistes sont implantés en Afrique subsaharienne depuis des années. Aqmi y opère sous la bannière du JNIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans), la branche officielle d’Al-Qaïda au Mali. Et Daech (acronyme de l’EI en arabe), combat sous le nom d’EIGS (État islamique au Grand Sahara). Des combats opposent régulièrement les deux groupes dans les zones frontalières du Niger, du Burkina Faso et du Mali. L’Association du Mali pour la survie du Sahel (AMSS) fait ainsi état de “combats meurtriers” entre les deux groupes qui ont eu lieu en février dernier dans le cercle d’Ansongo situé au carrefour des deux pays voisins du Mali, à savoir le Niger et le Burkina. Faso. « Les militants du JNIM après les combats contre ceux de l’EIGS ont accusé les populations locales d’être des collaborateurs de l’EIGS et de fournir des combattants à ce groupe. En représailles, ils ont perpétré des assassinats ciblés contre certains dirigeants communautaires (environ 60 personnes) », indique le rapport. Et le groupe dominant dans la plupart des régions est JNIM, surtout après avoir signé des accords locaux dans de nombreux endroits. “Il est plus ancré dans la population et fait de la politique, il séduit les habitants, parfois il est obligé de choisir entre lui et l’EI”, selon Wassim Nasr. Mais ces derniers jours, justement, la branche de l’EI a élargi son champ d’action au Mali jusqu’aux portes de la ville de Ménaka, base abandonnée en juin dernier par l’armée française. Les factions touareg ont tenté de repousser l’EIGS, mais ont échoué. “Ils ont même dû passer des accords tacites avec le JNIM, ce sont eux qui tiennent le front pour garder la communauté Telataï au Mali”, explique Wassim Nasr. Et aujourd’hui, “l’Etat islamique n’a pas plus d’influence mais plus de liberté d’action après la levée de la pression militaire française”, poursuit-il. Concernant la frontière avec le Niger, mais aussi dans le nord-est du Burkina Faso, s’il y a des zones acquises par le JNIM, pour EI Sahel les combattants sont plus itinérants, même si leurs familles sont installées dans des lieux ou des camps spécifiques.
L’armée malienne soutenue par Wagner contre les groupes djihadistes
Les forces armées du Mali, appelées FAMA, tentent tant bien que mal de se battre, mais les résultats ne sont pas au rendez-vous. “Même avec la France il n’a pas réussi, donc là il réussit encore moins, même avec l’aide de Wagner, car ce sont des mercenaires non professionnels et sans équipement et moyens professionnels”, rapporte Wassim Nasr. Wagner, ce sont ces mercenaires russes qui ont également été déployés en Syrie ou plus récemment dans l’est de l’Ukraine. Les résultats obtenus sont proches de zéro, voire pires. La stratégie utilisée vient grossir les rangs des groupes jihadistes, comme ce fut le cas avec le massacre de plus de 300 personnes à Moura en mars. Si les djihadistes étaient bien présents dans la ville, ces 300 personnes ne sont pas 300 combattants. Human Rights Watch décrit un massacre commis sur plusieurs jours entre le 27 et le 31 mars et « le pire épisode d’atrocités » commis depuis la propagation de la violence au Mali en 2012. De plus, il a servi la propagande djihadiste après « qu’on ait vu un pic dans le recrutement » après le massacre, assure Wassim Nasr.
L’armée française en soutien au Burkina et au Niger
De l’autre côté de la frontière, les militaires français sont toujours présents, mais de manière plus discrète qu’ils ne l’ont été au Mali depuis près d’une décennie. Au Niger, par exemple, “le drapeau tricolore ne vole pas, contrairement au Mali”, souligne Wassim Nasr. Il existe, mais il ne le mentionne pas spécifiquement. Par ailleurs, cette coopération avec Niamey se passe plutôt bien et est “plutôt efficace”, précise l’expert, avec “un bon niveau de confiance mutuelle”. Au Burkina Faso, la relation est un peu moins fluide, surtout depuis que la junte militaire a pris le pouvoir en début d’année. “Si la junte continue à vouloir coopérer avec la France, les résultats sont moindres”, note Wassim Nasr, notamment à cause de moins bonnes coopérations, comme des appels à l’aide qui arrivent souvent trop tard, voire une attente irréaliste par rapport à l’aide française. . mais aussi la réticence de certains soldats à coopérer avec l’armée française.
Le Bénin, le Togo et la Côte d’Ivoire se préparent
La lutte contre ces groupes djihadistes va-t-elle désormais s’étendre à d’autres pays d’Afrique subsaharienne ? Le Bénin, le Togo et la Côte d’Ivoire ne sont pas épargnés par l’augmentation de l’activité du JNIM dans leurs régions. Selon Wassim Nasr, “le groupe a effectivement recruté dans ces pays, formé des agents au Mali et les a renvoyés chez eux”. L’expert y voit donc une éventuelle menace interne, une manœuvre d’ancrage local et de séduction de la population. Et le groupe “a un potentiel important de déploiement dans le nord du Togo et le nord du Bénin”, précise-t-il. Le nord du Bénin a également été le théâtre d’une vingtaine d’attaques visant ses forces de sécurité depuis fin 2021. La semaine dernière, une vidéo de deux jihadistes parlant le bariba, la langue du nord du Bénin, incitant la population à les rejoindre et à les menacer en cas de coopération avec l’Etat, a largement circulé sur les réseaux sociaux. Les pays côtiers ont commencé à agir contre cette technique de conquête des populations. Des mesures de prévention de l’extrémisme sont en place depuis 2019. Au Bénin, le gouvernement a lancé des projets de développement dans ces zones délaissées par l’État : des commissariats, des écoles et des hôpitaux y ont été construits. Idem en Côte d’Ivoire, où plusieurs millions d’euros ont été investis. Mais pour le Policy Center for the New South, la militarisation des frontières doit être abandonnée. Elle met en lumière, selon ce “think tank”, le sort de populations déjà très pauvres et dépendantes du commerce transfrontalier pour leur survie. “Sans un changement drastique d’approche, le Bénin et d’autres pays verront leurs citoyens prendre les mêmes décisions que leurs voisins du Sahel : ils coopéreront avec les extrémistes pour qu’ils puissent rester en vie”.