DOMINIQUE FAGET / AFP Virginie Despentes, ici en novembre 2019, à Paris. LITTÉRATURE – C’est l’événement de cette rentrée littéraire. Ce mercredi 17 août, l’auteure à succès Virginie Despentes revient en librairie, cinq ans après la parution de son dernier tome chez Vernon Subutex, avec un nouveau roman intitulé, Cher Connard, aux éditions Grasset. Son histoire est celle d’un homme et d’une femme, deux stars en déclin. Le premier s’appelle Oscar Jayack. Auteur à succès, il est accusé d’avoir harcelé sexuellement son ancienne attachée de presse, devenue blogueuse féministe à succès. L’opinion publique est contre lui. La seconde, Rebecca Latté, est comédienne. Depuis qu’elle a cinquante ans, les contrats ne frappent plus à sa porte. Leur rencontre n’aura jamais lieu. C’est par écrit – lettres interpolées – qu’ils échangeront. Tout commence (mal) le jour où Oscar écrit un commentaire scandaleux sur le physique de Rebecca, rencontrée à Paris. Pas une ou deux, répond-il par mail. “Cher connard, j’ai lu ce que tu as posté sur ton compte Insta. Tu es comme une colombe qui aurait volé sur mon épaule », commence-t-il. L’histoire aurait pu s’arrêter là. Oscar pouvait se taire, être petit. Mais non, répond-il. “C’était agressif”, répond ce dernier. Oscar lui explique qu’il la connaît. Ils ont grandi ensemble. Sa sœur était tombée amoureuse d’elle. Rebecca ne s’en soucie pas vraiment. Continue. Il sent qu’on peut lui faire confiance. Il lui raconte ce qu’il a vécu, son sentiment de solitude depuis qu’il a été “méta-infecté”.

À propos de #MeToo

#MeToo, le décor est planté. “C’est vrai qu’en termes d’édition on est en retard là-bas”, souffle l’actrice dans une lettre. Il a honte. Pas ce qu’elle a fait (elle ne comprend pas), mais parce qu’elle pense avoir eu une veste, “parce que je lui ai dit que j’étais follement amoureux et qu’elle ne voulait rien entendre”. Sur son blog, son accusatrice, une dénommée Zoé Katana, affirme appartenir à “l’armée des filles abusées qui sortent du silence”. Il ne veut plus se taire. “Vous pouvez me trouver, me menacer, m’insulter. Rien ne changera. Nous soulevons le revêtement de plomb. La honte doit changer de camp », dit-il. Rebecca se moque de la complainte d’Oscar. Cela ne “sanctifie pas la parole de la victime”, dit-il. Bien sûr, parfois les femmes mentent. […] Mais le pourcentage de diseurs reste faible parmi les victimes, alors que le pourcentage de violeurs dans la population masculine devrait vous alerter sur la dégradation de votre sexualité. » Les mots utilisés par nos deux héroïnes font écho au discours féministe actuel. Ceux d’Oscar, en résistance masculine ont parfois entendu parler de #MeToo. Ici, Virginie Despentes ne livre pas de guide des bons comportements, de ce qu’il faut penser ou faire. Non, le romancier fait une fiction, une sorte d’observation de notre temps qui tend vers la dualité, le bien et le mal, où tout n’est pas noir ou blanc.

Covid-19, confinement et TikTok

RuPaul’s Drag Race, TikTok, Drake… Dear Asshole regorge de références à la pop culture de notre époque. On se situe volontairement dans les années 2020. Comme une saison de Plus Belle La Vie, le roman intègre des moments clés de l’actualité française. Il s’agit des prémices de la pandémie de Covid-19, quand Rebecca revient de son séjour à Barcelone les mains couvertes de gel hydroalcoolique “parce qu’à Paris on n’a pas l’air de trouver même en une semaine, ils ont l’impression que les gens pensent juste pour ça.” Mais aussi une désescalade, lorsqu’il observe avec méfiance un groupe de jeunes hommes à l’extérieur, “l’un porte un masque, l’autre l’a dans le cou, les deux autres n’en portent pas”. Ces impressions nous parlent, nous ancrant dans la réalité pour mieux nous parler des maux de notre société sexiste. “Nous sommes très favorables à l’idée que des femmes soient tuées par des hommes, pour la seule raison qu’elles sont des femmes”, souffle Rebecca, en écho au fémicide. Quant à la maternité et aux mères, “je constate surtout qu’on a toujours quelque chose à dire sur la façon dont on s’occupe des jeunes enfants”, ajoute-t-elle. […] Tromperie. Les mères, elles font ce qu’elles peuvent. »

Une société déraillée

L’ancienne star de cinéma cite l’âge de son industrie. “Voulez-vous savoir ce que c’est que d’être annulé?” Parlez à une actrice de mon âge. […] Pour la plupart d’entre nous, ce purgatoire commence dans la trentaine. Et je ne connais pas d’humoriste solidaire”, observe-t-elle, ce qui rappelle qu’en France seulement 8% des rôles étaient attribués à des femmes de plus de 50 ans en 2019. Régimes, normes de beauté, “regard masculin”… Tout y passe, quand Oscar lui-même défie ses insécurités contre les codes de la masculinité. “Je suis faible. Je ne suis pas mince. Je ne suis pas un mec stylé, une vigne, un mec maigre. Je suis maigre”, regrette-t-il. Son propos n’est pas moqué. Son interlocuteur le prend au sérieux. Cela révèle l’évolution des échanges entre nos deux personnages qui, au fil de l’histoire, apprennent à s’écouter. Même s’ils ne mâchent pas leurs mots, ils avancent, se confient leurs doutes, leurs peurs. Ils se conseillent, notamment sur la consommation de drogue. Dans une société en déroute, leur amitié naissante les calme. Le “Lovable Asshole” des autorités deviendrait presque attachant. Comme un prélude ironique au lancement d’un guide pour survivre à 2022. À voir également sur Le HuffPost: Lors de la manifestation pour Adama Traoré, Virginie Despentes et Vikash Dhorasoo ont aussi pensé à Camélia Jordana Vous ne pouvez pas voir ce contenu car vous avez refusé les cookies liés au contenu de tiers. Si vous souhaitez voir ce contenu, vous pouvez modifier vos préférences.