« C’est insultant et tout à fait inacceptable de voir que celui qui ne parle qu’anglais au Québec gagne plus que celui qui ne parle que français », a fulminé Jean-Paul Perreault, président d’Impératif français, un organisme de défense et de promotion du français. Selon l’étude réalisée par l’Office québécois de la langue française (OQLF) à partir des données du recensement de 2016, les personnes qui utilisent uniquement l’anglais au travail gagnent en moyenne 46 047 $ par année, soit 20 % de plus que le revenu moyen de 38 346 $ des personnes qui n’utilisent que le français; dirigeants riches Jean-Pierre Corbeil, professeur de sociologie à l’Université Laval, explique qu’il y a, dans la population qui ne parle que l’anglais au travail, «beaucoup de travailleurs immigrants pauvres, mais aussi des gens très riches». Et ce sont ces derniers qui tirent la moyenne vers le haut, selon François Vaillancourt, professeur d’économie à l’Université de Montréal. La présence au sommet de la pyramide de ces anglophones monolingues, scientifiques ou hommes d’affaires, a un impact négatif sur les positions inférieures. « Par exemple, vous avez le nouveau PDG du CN, qui ne maîtrise pas encore parfaitement le français, mais qui va l’apprendre, explique M. Vaillancourt. Quand elle ira chercher un vice-président, elle se dira, par exemple, « le meilleur qu’on a dans la gang qui travaille dans l’Ouest, on le ramènera à Montréal ». Cette logique fait que d’autres monolingues occupent des postes de direction et imposent l’anglais à leurs subordonnés. Selon M. Perreault, ces postes devraient exiger le français. “Quand on nomme des PDG, des cadres et des managers qui ne connaissent pas le français, c’est incroyablement irresponsable”, déplore-t-il.
Améliorez votre destin Au YMCA du centre-ville de Montréal, plusieurs travailleuses francophones comme Manoelle Maspndy viennent apprendre l’anglais. Ancienne assistante administrative, la maman souhaite se réorienter vers la gestion des ressources humaines. La plupart des publicités qu’il voit demandent l’anglais. Mark Grenon est professeur d’anglais depuis 13 ans. D’après son expérience, si les gens veulent faire une bonne carrière au Québec, ils ont besoin de l’anglais. Beaucoup d’immigrants francophones sont même surpris, note-t-il. C’est pour se démarquer sur le marché du travail qu’ils suivent des cours au YMCA. Outre l’écart entre l’utilisation du français et de l’anglais au travail, l’étude montre l’avantage non négligeable de parler les deux langues. Dans ce cas, le revenu moyen du travail atteint est le plus élevé, à 51 294 $. aisance, bilinguisme En 2015, plus de 40 % de la population québécoise utilisait régulièrement l’anglais au travail. « Un phénomène qui s’amplifie depuis une dizaine d’années, précise Jean-Pierre Corbeil. Dans ce contexte, le sociologue perçoit une question de préservation du français et estime qu’”il faut intervenir pour sensibiliser et promouvoir l’importance d’avoir le français comme première langue de travail”. Pour François Vaillancourt, il faut être “très exigeant dans l’usage du français sur le marché intérieur”.

Même à Bellechasse

Clients internationaux, collègues récemment arrivés au Québec qui ne parlent pas français… L’anglais est de plus en plus nécessaire au travail, même dans les régions très francophones. « Je ne m’attendais pas à parler autant anglais à la MRC de Bellechasse ! dit Jennifer Martin, qui a immigré au Québec l’an dernier. L’usine où il travaille recrute à l’international et de nombreux ouvriers, allochtones ou anglophones, ne parlent pas encore français. Comme son niveau d’anglais est un problème au travail, la coordonnatrice santé-sécurité d’origine française veut l’améliorer. Dossier photographique
Jean-Pierre Corbeil. Professeur de sociologie
Jean-Pierre Corbeil, professeur de sociologie à l’Université Laval, dit s’attendre à ce que les prochaines données de Statistique Canada publiées en novembre montrent une augmentation de l’utilisation régulière de l’anglais au travail au Québec. La mondialisation est certes en cause, mais l’évolution du profil linguistique de la population québécoise l’est aussi. Industrie du service Mais selon M. Corbeil, l’augmentation la plus notable de l’utilisation de l’anglais se situe dans le secteur des services. “Les employés d’entreprises autour d’une université anglophone comme Concordia ou McGill à Montréal utiliseront l’anglais pour servir certains étudiants qui ne parlent pas français”, explique-t-il. Michael O’Leary, vice-président du cabinet de recrutement Robert Half, confirme que parler anglais “est un facteur décisionnel de plus en plus important” pour les entreprises. “Pour tout ce qui touche au marketing ou à la communication client, les entreprises ont un peu plus peur d’embaucher des personnes monolingues”, même aux postes de direction, précise-t-il. Nouvelle technologie Outre la mondialisation, deux autres causes économiques sont à mentionner, selon François Vaillancourt. «On sait qu’environ le tiers de l’emploi au Québec est sous le contrôle d’entreprises non francophones», souligne-t-il. Cela augmente la probabilité d’utiliser l’anglais. L’autre facteur est le développement de secteurs comme les nouvelles technologies. Très orientés vers l’anglais, ils augmenteraient également le bilinguisme au travail.