“L’eau que nous laissons couler sans la mesurer doit être considérée comme une denrée rare et précieuse à consommer avec discernement”, écrit notre éditeur. Nathalie Collard La Presse
En France, la Loire est sèche. A Londres, le gazon de Hyde Park est jaune et sec comme du foin. En Roumanie, l’eau est rationnée. L’état d’urgence a été déclaré en Italie. Posté à 5h00 “Réveillons-nous”, a déclaré récemment Gavin Newsom, le gouverneur de Californie, un État qui lutte contre la sécheresse depuis 20 ans. On estime que 10 % de ses réserves d’eau auront disparu d’ici 2040. Même les pays qui n’ont jamais connu de pénurie d’eau doivent désormais s’adapter à des sécheresses de plus en plus longues et fréquentes. Et avec nous ? Avec nos milliers de lacs, rivières et fleuve majestueux, on peut difficilement imaginer manquer d’eau un jour. Et encore… Un rapport sur l’impact du changement climatique sur le pays remet les pendules à l’heure : nos approvisionnements en eau ne sont pas sans fond. Dans cette étude, les chercheurs du consortium climatique Uranus consacrent une section entière au thème de l’eau. On apprend que le Québec est aussi vulnérable1. Les lacs et rivières du Québec, ainsi que le fleuve Saint-Laurent. Saint-Laurent, sera touché par les changements climatiques, qui modifieront les niveaux d’eau, les risques d’inondation ainsi que la disponibilité et la qualité de l’eau. Extrait de l’étude du consortium Uranos En fait, les pénuries d’eau ont déjà commencé dans la province. Au printemps dernier, La Presse faisait état des problèmes de certaines villes de l’Est, comme Sutton et Bolton-Ouest, où l’accès à l’eau potable était problématique2. Ces villes nous envoient un message : il est temps de revoir nos habitudes de consommation d’eau. Et pour mieux protéger nos stocks. L’arrosage à long terme des terrains de golf sera-t-il autorisé ? En France, cette question fait débat. Les municipalités craignant l’accès à l’eau devraient-elles interdire la construction de piscines creusées et autres équipements aquatiques gourmands en eau ? La question est valable. Ce qui nous semblait anodin est devenu problématique. L’eau que nous laissons couler sans la mesurer doit être vue comme une denrée rare et précieuse à consommer avec discernement. Plusieurs municipalités réglementent déjà strictement l’arrosage et la consommation d’eau : l’arrosage des surfaces d’asphalte et de brique est interdit (le temps d’arroser son asphalte par temps chaud est révolu), l’arrosage des pelouses n’est autorisé que quelques heures par semaine, etc. . Certaines villes offrent également des incitations à l’achat de toilettes à faible débit ou à la distribution de barils pour récupérer l’eau de pluie. Ce sont des gestes qui peuvent faire la différence. Mais la vraie différence, c’est le ministre de l’Environnement qui peut le faire. Le plan d’action qui accompagne la Stratégie québécoise de l’eau expire en 2023. Le prochain devrait mordre plus fort. Premièrement, nous devons accélérer la maintenance de nos infrastructures. En 2021, la Ville de Montréal a restauré 25 kilomètres de conduites d’eau potable et 55 kilomètres de conduites d’égout. L’année dernière, on estimait que 361 millions de litres d’eau étaient perdus par jour parce que notre ancien système de distribution d’eau avait plus de trous qu’un gruyère. Il faut travailler dur pour gagner cette course contre la montre. Nous devons également faire face à la question de la vente de notre eau à des multinationales qui l’embouteillent pour nous la revendre. À l’heure actuelle, il est impossible de connaître les quantités d’eau puisées dans les réserves québécoises. «Secret commercial», a décidé la Cour du Québec en avril dernier. En juin, cependant, l’Assemblée nationale a approuvé à l’unanimité une motion reconnaissant que « la gestion durable de l’eau repose sur la transparence ». Les élus ont pris sur eux d’étudier la possibilité de modifier le cadre légal afin de rendre publique l’information sur le pompage de l’eau au Québec. Ces changements sont nécessaires. Il faut pousser la réflexion plus loin et se demander pourquoi on laisse les multinationales pomper des milliards de litres d’eau de nos réserves. Ce débat doit se tenir sur la place publique, et non à huis clos. Nous devons aussi mieux protéger nos milieux humides, car ils ont un impact sur la quantité d’eau disponible. « Ils nous protègent des inondations et des sécheresses », rappelle l’auteure principale de l’étude, Angelica Alberti-Dufort du consortium Ouranos. Elle est la prunelle de nos yeux. » Au printemps dernier, une autre étude menée par le chercheur Jérôme Dupras révélait qu’une majorité de répondants souhaitaient davantage de protection pour les zones humides. De plus, 93 % se disent préoccupés par la qualité de l’eau potable3. À la lumière de ces nouvelles études, espérons que la question de l’eau sera sérieusement discutée lors de la prochaine campagne électorale.