Posté à 5h00
                Léa Carrier La Presse             

La grande traversée des Andes

PHOTO DOMINIQUE GRAVEL, LA PRESSE Adine a traversé trois pays pour échapper aux talibans. Il est arrivé à Ottawa en juin dernier. Adine* se cachait dans sa maison familiale à Kaboul quand une certitude l’a frappée de plein fouet : personne ne viendrait à son secours. C’était il y a presque un an. Kaboul venait de tomber sous le contrôle des talibans. “Je ne pouvais pas sortir. Là, j’ai perdu tout espoir. Je pensais que nous allions tous mourir », raconte Adine devant une tasse fumante dans un café du marché By à Ottawa. C’était un matin de juillet chaud et humide. La capitale était baignée d’une lumière brûlante. Depuis un an, La Presse suit l’évasion d’Adine d’Afghanistan. Nous avons parlé avec elle pour la première fois le lendemain de la chute de Kaboul et nous sommes restés en contact depuis, sans prévoir qu’elle terminerait son long voyage vers le Canada en juin. INFOGRAPHIE LE TYPE L’Afghanistan Lorsque les talibans sont revenus au pouvoir, Adine, 21 ans, envisageait d’aller à l’université. Elle a écrit sur le statut des femmes dans un journal local. Il rêvait d’égalité. Du jour au lendemain, la vie qu’il avait imaginée partit en fumée, disparaissant à la tombée de la nuit à Kaboul. PHOTO BULENT KILIC, FRANCE-DOSSIER AGENCE DE PRESSE Les talibans patrouillent dans les rues de Kaboul en septembre 2021 Mais l’histoire d’Adine se termine bien. Contrastant avec celle des millions de femmes afghanes qui cherchent de l’aide sans espoir, qui sont laissées à la merci des talibans, elle dénonce. « Le monde est silencieux. N’a rien fait. Ce sera un an. Parfois, je me demande si le monde est aveugle”, se plaint-il. Ils nous ont abandonnés parce que nous ne sommes pas blonds aux yeux bleus. Lorsque la guerre en Ukraine a éclaté, c’était différent. Sœur Quand Adine a quitté Kaboul, où elle a grandi, les talibans étaient partout. Dans les rues, sur les toits des maisons, mitrailleuses au poing, en pleine vue. Au lieu de cela, pas l’ombre d’une femme à l’extérieur. À sa grande consternation, les talibans ont pris le contrôle des universités – comme tout le reste. Enfant, Adine adorait l’école. Elle s’intéressait à la politique, à l’extrémisme religieux. “Mais je viens de loin…” la famille lui échappe. Adine sort son téléphone, touche l’écran. “Traditionnel”, poursuit-il. A 11 ans, son petit monde s’effondre. « Mon père a décidé que je n’avais plus besoin d’aller à l’école. Je me souviens des jours et des nuits que j’ai passés à pleurer. Beaucoup de familles sont comme ça en Afghanistan », dit-il calmement. Déterminée (et très persévérante), Adine continue l’école en ligne… en cachette. Son grand frère Malik* est dedans. Pendant l’entretien, il s’assoit à quelques tables et veille sur sa petite sœur. Tout au long de sa vie, Adine s’est battue contre son entourage pour son éducation et sa liberté. Mais jamais contre son frère. “Il a toujours été là pour moi”, dit-elle. Mes sœurs, mes cousines pensaient que j’étais un peu folle. Ce n’était pas important pour eux d’être quelqu’un pour eux-mêmes, d’écrire leur propre histoire. Sœur On répète souvent qu’avant l’été dernier, les femmes afghanes avaient retrouvé une certaine liberté, gagnée à la sueur de leur front au cours des 20 dernières années. C’est vrai, admet Adine, mais leurs victoires ont toujours été fragiles. Et des attitudes anciennes, persistantes. “Beaucoup d’hommes en Afghanistan ont un peu de taliban en eux. Ils pensent la même chose des femmes”, déplore-t-il. “Ils sont considérés comme des esclaves. Ils doivent se marier, avoir des enfants et rester à la maison. Rien de plus. » Deux mois après le retour des talibans, Adine a dû choisir entre continuer à se cacher ou fuir. Elle avait compris l’évidence : personne ne viendrait à son secours. PHOTO PAR ALI KHARA, DOSSIER REUTERS Les talibans dans les rues de Kaboul le 2 août Avec l’aide de Too Young to Wed, une organisation contre le mariage des enfants, elle s’enfuit, seule, au Pakistan. Quelques semaines plus tard, il retourne en Albanie grâce à un contact personnel. Adine y restera pendant six mois jusqu’à ce que le National Endowment for Democracy obtienne des visas de réfugié pour elle, son frère et sa mère au Canada. Le reste de sa famille et ses amis ont fui dans la mesure du possible. A Kaboul, il ne lui reste plus qu’une sœur. Elle est enceinte. “J’espère que ce n’est pas une fille”, dit Adine. Soudain, le ciel devient noir. Une brève averse interrompt les conversations sur la terrasse du café. “Je suis épuisée. Je dors mal depuis un an. J’essaie de tout oublier”, souffle la jeune femme. Après ce long voyage, Adine est prête pour un nouveau départ. Je me sens chez moi ici. Les gens sont si gentils. Je ne me sens pas comme un immigré. Sœur Il a remercié Ottawa, qui « s’efforce d’aider [les Afghans] et aide sa famille à trouver un foyer. A la rentrée, un nouveau défi l’attend : l’université. Comme il en avait toujours rêvé… à un détail près. Adine pensait qu’elle allait se spécialiser en sciences politiques, mais sa dernière année a changé d’avis. Ça ira tout droit. “Parce qu’un jour je rentrerai à la maison. Et ces gens qui ont tout perdu, auront besoin de quelqu’un pour faire entendre leur voix, pour défendre leurs droits. »

  • Noms fictifs pour protéger leur identité

Pour connaître toute l’histoire d’Adine

Des vies réduites à quelques choses

PHOTO LILLIAN SUWANRUMPHA, AGENCE D’ARCHIVES FRANCE-PRESSE Des femmes afghanes travaillant dans un atelier de couture à Kandahar, en juillet dernier De mois en mois, la liste des restrictions imposées aux femmes afghanes s’allonge. En voici un résumé, commenté par deux femmes sur le terrain.

Le voile intégral est obligatoire en public

PHOTO JAVED TANVEER, AGENCE D’ARCHIVES FRANCE-PRESSE Femmes afghanes dans une rue de Kandahar, Afghanistan L’usage de la burqa est désormais obligatoire en public. Les femmes afghanes qui ne respectent pas cette obligation s’exposent à des sanctions. Après deux avertissements, le chef de famille est passible d’une peine de prison. Dans son décret annoncé en mai, le chef suprême de l’Afghanistan, Hibatullah Akhundzada, a simultanément appelé les femmes à “rester à la maison”. Ce qui se passe en Afghanistan est la plus grave crise des droits des femmes dans le monde aujourd’hui. Human Rights Watch

Il n’y a pas d’école pour les filles

PHOTO LILLIAN SUWANRUMPHA, AGENCE D’ARCHIVES FRANCE-PRESSE Les filles de 12 ans et plus ne peuvent plus aller à l’école. Seules les classes clandestines, comme celle-ci, subsistent. En mars, des milliers d’écolières âgées de 12 ans et plus ont dû abandonner leurs uniformes après que les talibans sont revenus sur leur décision de rouvrir les écoles pour filles. Cinq mois plus tard, les filles sont toujours exclues de l’enseignement secondaire, sans date de retour en classe. …