Une équipe québécoise a mis au point un procédé d’impression de mélanine purifiée à partir d’encre de seiche. Il vient de publier un article dans la revue scientifique américaine “Proceedings of the National Academy of Sciences” (PNAS). L’utilisation de matériaux d’origine biologique — issus du vivant — dans le monde de l’électronique permet d’envisager une fin de vie différente pour ces objets. Ils pourraient alors emprunter le chemin du compost. “Il faut faire attention, car il y a des critères pour respecter les matières compostables, mais il y a une forte possibilité qu’elles soient biodégradables, voire biocompatibles”, souligne l’une des auteures de l’article, la professeure Clara Santato du Département. en génie physique à Polytechnique Montréal. En effet, au-delà de l’utilisation de matériaux issus de sources biologiques, le professeur Santato tient à souligner qu’il est possible de valoriser des déchets en électronique. “A mon avis, il faut s’ouvrir un peu l’esprit et penser qu’il n’y a pas de gaspillage”, explique-t-il. Le déchet n’est qu’une étape dans l’histoire de vie d’un matériau. » Si l’encre de seiche, qui contient beaucoup de mélanine, a été utilisée pour l’étude, d’autres perspectives sont possibles. Par exemple, dans l’industrie alimentaire, une ferme d’insectes l’a contactée pour savoir si leurs restes riches en mélanine pouvaient être utilisés pour fabriquer des composants électroniques. Alors que l’on sait depuis une quarantaine d’années que les molécules organiques peuvent conduire l’électricité, les préoccupations environnementales ont conduit les chercheurs à s’intéresser aux matériaux d’origine biologique, que l’on pourrait retrouver notamment dans les déchets, selon l’enseignant. “Ce genre de choses [le déchet] il est déjà disponible, donc je n’ai pas besoin d’aller dans une industrie chimique pour le synthétiser », ajoute-t-il.

Une recette pour la conductivité

Autre raison pour laquelle les mélanines, ces pigments brun-noir fabriqués à partir de cycles d’atomes de carbone, étaient peu utilisées jusqu’à présent : leur manque de solubilité, qui rend le matériau difficile à traiter. L’équipe de Polytechnique, en collaboration avec l’Institut des communications graphiques et de l’imprimabilité, a réussi à pallier ce problème grâce à une recette permettant de solubiliser la mélanine de l’encre de seiche. Grâce à quelques ingrédients et à un agent de liaison, ce mélange, une fois imprimé, forme un réseau conducteur tridimensionnel qui peut donc être utilisé dans des composants électroniques. Ce sont les nanoparticules de mélanine, dérivées de l’encre de seiche, qui permettent la transmission de l’électricité. “Paradoxalement, notre intérêt pour le développement des technologies nous a aidés dans les fondamentaux”, explique le professeur Santato. En effet, ces années de travail sur les mélanines ont permis d’aboutir à une découverte sur la conductivité des molécules organiques. “C’est l’une des premières fois qu’une matière organique biologique transporte des électrons et non des ions”, explique-t-il, ajoutant qu’il n’y a pas de première fois absolue car la recherche est basée sur la connaissance du passé.

Capteurs biodégradables

“Ce n’est pas comme si dans cinq ans les microprocesseurs seraient organiques”, explique Mme Santato. Mais il existe de nombreuses applications pour lesquelles on peut envisager d’aller vers quelque chose de plus respectueux de l’environnement, par exemple les capteurs dans les océans, où on ne peut pas les récupérer en fin de vie. » Mentionne notamment les détecteurs d’humidité et de température, les détecteurs de perte d’huile des bateaux. “Nous ne pouvons pas retirer ces capteurs, nous devons donc les concevoir pour qu’ils soient dégradables”, ajoute-t-il. À terme, il pense qu’il sera possible de développer des capteurs chimiques et peut-être des dispositifs et des circuits intégrés. Cependant, il précise que, pour les fonctions où la vitesse est recherchée, le silicium et les matériaux inorganiques l’emporteront toujours pour des raisons de liaison chimique. “Dans d’autres cas, les (matériaux) organiques, parce qu’ils sont dégradables, parce qu’ils sont flexibles, parce qu’ils sont imprimables – pas comme le silicium – auront leur part “, dit-il. Seul bémol pour l’instant, le liant utilisé, le polyvinylbutyral (PVB), n’est pas biodégradable. L’équipe de chercheurs travaille cependant à trouver une alternative qui signifierait qu’un composant électronique entier à base d’encre de seiche ou d’autres matériaux bio-dérivés pourrait finir sa vie dans le compost. D’autres familles de molécules sont également étudiées, comme les tanins pour le stockage électrochimique de l’énergie et les chlorophylles, qui ont été analysées dans les années 1970 et 1980, notamment pour leur utilisation dans l’énergie solaire. “Nous avons plus de connaissances et des équipements plus sophistiqués en 2022 qu’en 1980. Nous arrivons à bien mieux agencer les molécules qu’il y a 40 ans”, explique le professeur. Il espère ultimement que les « déchets » de l’industrie forestière, notamment au Québec, pourront être utilisés pour produire des composants électroniques.

A voir en vidéo